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Notre Voie Lactée a connu au moins 6 fusions galactiques au cours de son histoire !

Publié par Planétarium du Jardin des sciences - Jardin des Sciences, le 1 mars 2022   960

Crédits image : S. Payne-Wardenaar / K. Malhan, MPIA

Rencontre avec Nicolas Martin, membre de l’équipe internationale d’astrophysiciens impliquée dans cette découverte majeure

Nicolas Martin vous êtes chargé de recherche à l’Observatoire astronomique de Strasbourg et, en particulier, responsable d’une équipe appelée GALHECOS. Que cache cet acronyme ?

L’équipe GALHECOS est une assez grosse équipe scientifique à l’Observatoire qui inclut des chercheurs qui travaillent sur plusieurs domaines différents qui va de la formation de notre Voie Lactée, faire ce que l’on appelle de l’archéologie galactique. Et puis, il y a d’autres collègues qui s’intéressent à des problématiques qui sont plus proches de l’Univers vu dans les rayons X, par exemple, à la manière dont les étoiles évoluent au cours du temps, ou encore à l’apparition des premières galaxies dans l’Univers. En particulier, avec un groupe de collègues, on se focalise à essayer de comprendre comment notre propre galaxie évolue au fil du temps. Un domaine de recherche qui a été révolutionné, il y a deux, trois, quatre ans, par l’arrivée des premières données du satellite spatial Gaia qui nous permet de connaître la position, et surtout le mouvement des étoiles sur le ciel, permettant ainsi de voir si certaines étoiles semblent venir d’ailleurs.

Pour bien comprendre les enjeux de vos recherches, pouvez-vous nous apporter quelques informations de base sur notre Galaxie, notre Voie Lactée, les galaxies ?

Pour toutes les galaxies, c’est la même chose. Il y a la partie qu’on voit, la partie centrale. Notre Galaxie, la Voie Lactée, c’est ce disque central qui contient environ 95 % des étoiles de notre Galaxie. Et, comme on le voit sur la tranche, c’est cela qui créé la Voie Lactée, cette bande laiteuse de milliards d’étoiles dans le ciel. Mais une galaxie, ce n’est pas que cela. Il y a effectivement ces nombreuses étoiles que l’on peut observer, mais on pense que toutes les galaxies sont au centre de ce que l’on appelle un halo de matière noire en grande quantité. Et à grande échelle, la seule force qui peut attirer les objets les uns vers les autres, c’est la gravité. Donc, le fait qu’il y ait ce grand halo de matière noire va avoir tendance, au cours du temps, attirer des galaxies les plus petites qui vont tomber à proximité. De fait, une galaxie comme la nôtre, c’est beaucoup d’étoiles et de gaz dans un disque tout cela au centre d’une grande quantité de matière noire. Mais, il y a aussi des galaxies satellites, des amas d’étoiles, qui arrivent et qui sont alors liés gravitationnellement à notre Galaxie. Ces objets sont donc considérés comme faisant aussi partie de notre Galaxie.

L’une des questions majeures de l’astrophysique actuelle est de savoir comment ces galaxies se forment dans l’Univers. Nous abordons du coup le cœur même de vos recherches, ce que vous appelez « archéologie galactique ». En quoi votre publication récente sur la détection de 6 galaxies fusionnant avec notre Voie Lactée apporte un nouvel éclairage à cette question. Et que devient l’histoire de notre Voie Lactée qui s’étend sur près de 12 milliards d’années ?

L’Univers à 13.7 milliards d’années et notre Galaxie n’était pas là dès le départ. Elle s’est formée au cours du temps. Et c’est vraiment ce que nous montrent les modèles et que l’on comprend très bien : les galaxies se forment au fil du temps en absorbant des grumeaux contenant des étoiles, ou que de la matière noire, ou que du gaz. C’est ainsi que notre Voie Lactée s’est sans doute assemblée en galaxie disque 2 à 3 milliards d’années après la création de l’Univers. La manière dont les structures de galaxies sont réparties dans l’Univers est bien établie. Cela s’organise sous l’effet de la gravité qui attire ces structures l’une vers l’autre créant ainsi des structures filamentaires, au croisement desquels se trouvent ces gros amas de galaxies comme celui de la Vierge que l’on connaît bien. Mais le problème, en astrophysique, c’est que contrairement à beaucoup d’autres domaines de la physique où l’on peut faire sa petite expérience, nous on est coincé. On ne peut pas créer notre galaxie. On est obligé, comme le paléontologue ou l’archéologue, de chercher des traces anciennes, des fossiles de ce que notre Galaxie a pu absorber au cours du temps. Est-ce que notre Galaxie a eu une histoire très neutre ou ennuyeuse où tout s’est formé très tôt ? Non, on ne le pense pas, même si cela semble plutôt calme pour notre environnement, on peut désormais retrouver des traces de courants d’étoiles, d’amas globulaires et de galaxies naines qui ont tous la même orbite autour de la Voie Lactée, ce qui signifie que ces objets sont tous arrivés dans le même mouvement et ont ainsi déposé dans le halo toute une quantité d’étoiles, d’amas et de galaxies naines.

Petite précision, qu’appelez-vous courant d’étoiles ?

Si vous avez, par exemple, un amas globulaire, un amas d’étoiles, si vous passez un peu trop près de la Voie Lactée, il se passera la même que les marées sur la Terre ; c’est la Lune qui tire sur les océans, mais la Terre est bien plus massive que la Lune. Maintenant, imaginez l’effet s’inverse. Si la Lune avait un océan, la Terre tirerait sur cet océan qui du coup se mettrait à quitter la surface lunaire pour se répartir sur l’orbite de la Lune, en fait tout autour, là où orbite la Lune. Ainsi si un amas stellaire passe trop près, ses étoiles sont arrachées et se répartissent sur l’orbite et continuent à tourner autour de la Voie Lactée telle une traînée d’étoiles sur le ciel. C’est cela un courant d’étoiles.

Tout cela donne sens à vos travaux du coup ?

Oui, notre travail ici consiste à mettre ces différents courants d’étoiles ou satellites de la Voie Lactée dans des boîtes. On sait qu’il y a ces objets qui sont arrivés ensemble, suivent les même orbites, formant ainsi un groupe à un moment donné. On s’est rendu compte qu’il y avait ainsi 5 ou 6 boîtes. On sait qu’il y a des galaxies naines autour de notre galaxie qui ont été attirées au cours du temps et qui maintenant orbitent tranquillement. Des amas globulaires ont été, de la même manière, apportés à notre Voie Lactée. On voit des étoiles dans les parties externes de notre Galaxie, dans le halo galactique en étant sur des orbites bien particulières. Notre travail est d’essayer de remettre tout cela en commun. Cette découverte de 5 ou 6 boîtes indique que notre Galaxie a sans doute « mangé » pendant assez longtemps, il y a environ 10 milliards d’années, alors qu’elle était très dynamique, au moins une demie douzaine de galaxies plus petites, mais tout de même assez massives.

L’équipe internationale, dont vous êtes membre, a ainsi répertorié 257 objets, chacun appartenant à l’une des 3 catégories annoncées : amas globulaires, galaxies naines, courants d’étoiles. Comme faite vous pour identifier, observer ces objets ? Selon quels relevés ? On parle beaucoup à ce sujet du satellite Gaia. Expliquez-nous cela.

La carte galactique montrant les 257 objets utilisés dans l’étude, soient 170 amas globulaires ( marqueurs « étoiles »), 41 courants stellaires (marqueurs « points ») et 46 galaxies satellites (marqueurs « carrés »). Ces objets sont colorés selon leurs distances au Soleil (bleu=plus proche, rouge=distant). Crédits : S. Payne-Wardenaar / K. Malhan, MPIA

Certains de ces objets étaient déjà connus avant. Nombreux sont ceux qui ont vu les très jolies photographies de ces amas d’étoiles qui les font ressembler à un arbre de Noël. Les galaxies naines sont moins compactes et donc moins photogéniques ; on les connaît depuis longtemps. On a attendu que le satellite Gaia arrive, il y a 3 ans, pour étudier leurs étoiles parmi les 1.5 milliards d’étoiles des relevés Gaia donnant avec grande précision les positions et les mouvements d’étoiles. Gaia n’est pas un très grand télescope à l’image du James Webb Telescope qui vient d’être envoyé récemment ; il fait des relevés des objets brillants. Avec Gaia, on regarde les mouvements des étoiles des galaxies naines que l’on connaît déjà bien, certaines déjà vers le milieu du 20ème siècle. Pour les courants d’étoiles, c’est assez différent. On a mis en place tout un programme avec Khyati Malhan (Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg), premier auteur de notre publication et ancien doctorant de notre observatoire, ainsi que Rodrigo Ibata et moi-même. On a développé un algorithme analysant ces 1.5 milliards d’étoiles de Gaia et cherchant, tel un orpailleur, des groupes de 10 à 20 étoiles sur ces 1.5 milliards qui vont avoir le même mouvement sur le ciel et peuvent être compatibles avec une même orbite autour de la Voie Lacté. C’est un immense travail de près de 1 millions d’heures de calculs sur les serveurs de l’Université de Strasbourg. On a ainsi identifié toute une série d’étoiles appartenant à différentes traînées d’étoiles. Et en projetant cela sur une carte céleste, on voit comme une évidence ces courants d’étoiles. Maintenant qu’ils sont là, on les étudie plus en détail et il nous reste à trouver des informations sur la formation de notre Galaxie.

C’est ainsi que vous avez donc identifié 6 fusions à ce jour ?

Ayant des orbites beaucoup plus précises des amas stellaires et des galaxies naines qui étaient déjà connus, on cherche désormais les objets ayant des orbites communes. On voit ainsi que la moitié des objets sont assignés à 6 voire 7 grands groupes. Certains étaient déjà connus auparavant comme par exemple, le courant qui vient de la galaxie naine du Sagittaire qui est une assez grosse galaxie naine déjà, qui tourne autour de la Voie Lactée depuis les 5 à 7 derniers milliards d’années. Le chiffre que l’on a trouvé n’est pas forcément un chiffre final. On va affiner les observations avec de nouvelles données Gaia ou avec des observations plus profondes faites au sol et peut-être découvrir de nouvelles fusions ou compléter ce que l’on sait déjà. L’autre moitié des objets que nous n’avons pas mis dans ces 6 – 7 groupes sont sans doute eux aussi venus de l’extérieur, mais dans des objets plus petits qui se seraient mixés totalement avec notre Voie Lactée ou pour lequel il est plus difficile de remonter vers un groupe.

Vous parlez déjà d’un 7ème groupe non ?

Oui, on propose un 7ème groupe qui semble avoir des étoiles particulièrement anciennes. On mesure cela par la métallicité, c’est-à-dire la quantité d’éléments lourds dans une étoile. Cette quantité est directement reliée à l’âge d’une étoile.

Cela fait le lien avec une autre de vos publications sur un groupe baptisé C-19, n’est-ce-pas ?

C’est effectivement une publication que l’on a faite il y a un peu plus d’un mois où on mettait en évidence la structure stellaire C-19, la plus pauvre en métaux que l’on connaisse à ce jour. Cela est donc un reste fossile des tous débuts de la formation des structures de l’Univers.

Et si l’on fait une comparaison avec notre Soleil et ses quelques 1.5 % d’éléments les plus lourds ?

Oui, là c’est quasiment 1000 fois moins que dans le Soleil. Ces étoiles que nous avons trouvées ne contiennent quasiment que de l’hydrogène et de l’hélium. On a très, très, peu de raies d’absorption correspondant à des éléments lourds tels que le fer, le carbone ou l’azote. Cela confirme que nous sommes en présence d’étoiles très anciennes.

Ces fusions portent parfois des noms bien étranges, comme, par exemple, la dernière découverte Pontus. Mais où vos équipes trouvent-elles inspiration ?

Personnellement, je trouve que c’est un souci de notre communauté. Il n’y a pas d’organisation centrale à l’image d’autres objets astrophysiques dont les dénominations sont définies par l’Union Astronomique Internationale. Dans le domaine des courants d’étoiles, chaque groupe de chercheurs les nomme de façon différente. Initialement, cela a commencé parce qu’un collègue, aux Etats-Unis, avait décidé de les baptiser selon les rivières de l’Hadès. On a ainsi toutes les rivières de la mythologie grecque. Et comme il faut aussi penser au-delà de nos cultures occidentalisées, certains collègues aux origines différentes ont proposé d’autres noms comme des rivières hindoues ou d’autres mythologies. C’est un peu un patchwork à l’heure actuelle. Cela ajoute un peu de confusion. Parfois on identifie des courants qui portent un nom différent mais qui sont le même objet ; une partie peut être en dessous de la Voie Lactée, une autre au-dessus et le disque galactique cache ce lien entre eux. C’est un peu le chaos pour rester dans les termes grecs !

Les différentes structures stellaires liées à la fusion nouvellement découverte“Pontus” sont visualisées en violet sur cette carte du ciel.  Crédits : S. Payne-Wardenaar / K. Malhan, MPIA

Est-ce que le fait de vous trouver au sein d’un observatoire qui possède un centre de données de renommée internationale (CDS) est un atout pour vos recherches et explique un nombre de publications non négligeable ?

Alors, par exemple, pour l’accès aux données Gaia, il n’y pas d’avantage. Ces données sont rendues disponibles, au temps T, le jour J, par l’Agence Spatiale Européenne et le CDS a un contrat avec eux et il s’y tient. Après cela permet, même pour les données Gaia, d’y avoir accès plus facilement après leur publication officielle parce qu’elles sont déjà sur des disques durs dans le bâtiment. Ça peut être plus facile d’aller voir les collègues du CDS pour obtenir ces données que de les télécharger. Mais, quand on va explorer près de 1.5 milliards d’étoiles, les outils, les algorithmes mis en place par l’observatoire virtuel, qui répondent à des besoins génériques, ne sont pas forcément pertinents. Nous avons besoin dans nos recherches d’algorithmes vraiment très poussés et spécifiques et à ce niveau, on ne peut pas que s’appuyer sur les outils du CDS. Cela étant dit, l’accès aux catalogues mis en ligne par le CDS est un atout certain ; c’est toujours plus facile que d’envoyer un mail à quelqu’un qui se trouve éloigné.

A propos de fusion de galaxies, on ne peut éviter de penser à la prévision de collision de notre Galaxie avec M31, la Galaxie d’Andromède. Qu’avez-vous à dire sur ce sujet ?

J’ai une double réponse par rapport à cela. La première est que ces deux galaxies ont un peu près la même masse. Dans 4 à 6 milliards d’années environ, ces deux galaxies disques vont donc se mélanger en créant sans doute une grosse galaxie elliptique. Les étoiles qui étaient ainsi bien ordonnées dans un disque vont être redistribuées et à la fin on se retrouve avec grosse masse d’étoiles, plus comme un gros « nuage de moustiques » qu’un très joli disque.

Le deuxième point : les fusions que l’on a découvertes ou que l’on a mis en évidence dans nos travaux récents, ce sont plutôt des ratios de 1 pour 3 ou 1 pour 4 ; c’est-à-dire que ces objets qui se sont mélangés à la Voie Lactée avaient un quart de la masse de notre Galaxie à un moment donné, cela était donc « moins violent ».

Mais, de manière générale, il faut bien prendre conscience que les collisions de galaxies, comme la collision M31 – Voie-Lactée à venir, ne sont pas des phénomènes violents. L’espace est fait en très grande majorité de vide. Il est très difficile d’avoir une bonne perception de cette quantité de vide. Donc quand ces deux galaxies se mélangent - plutôt que de parler de collision – ce qui peut se passer, c’est que l’on aura de forte chance que notre Système Solaire se repositionne tout simplement dans le nouvel ensemble et se retrouve en orbite autour d’une grosse galaxie elliptique. Il y a une très faible probabilité que notre étoile soit expulsée lors de la fusion. Mais globalement, il n’y aura jamais de collisions au sens collisions de voitures comme dans un film hollywoodien. Ce sera plus une danse due à la gravité quand une étoile passera trop proche et voilà ! L’orbite de notre étoile va être déviée ou il y aura un effet fronde et notre étoile va partir sur une autre orbite. Et cet événement n’est pas instantané, cela prend 1 à 2 milliards d’années et encore un peu plus après pour que tout se stabilise.

Pour conclure, le James Webb Telescope sera-t-il un outil utile pour vos futures recherches ?

Nous avons deux parties très différentes de notre communauté. J’ai des collègues qui vont regarder le plus loin possible, donc le plus tôt possible dans la formation de l’Univers. Ils étudient ainsi de nombreuses galaxies telles qu’elles se sont formée, il y a 12, 13 milliards d’années. Mais on ne peut pas remonter le temps sur notre propre galaxie. Avec mes collègues, on se focalise plutôt sur les restes des premiers âges de la formation de notre galaxie. On peut voir localement et en détail la métallicité et les orbites des étoiles dans notre Voie Lactée, ce que l’on ne verra pas individuellement avec un télescope spatial même s’il est très grand. Je pense que les deux approches l’une très détaillée très proche comme avec notre Voie Lactée et M31, l’autre plus statistique très loin sont indispensables pour voir si l’on est d’accord entre nous.

Pour en savoir plus :

On trouvera plusieurs images et vidéos sur les pages du communiqué de presse du MPIA à Heidelberg ou à l’Observatoire de Strasbourg :

Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg

Observatoire de Strasbourg

Entretien :

Jean-Yves Marchal,

Médiateur scientifique - planétarium du Jardin des Sciences - Unistra