Effets et devenir des polluants : les bases de l’écotoxicologie

Publié par 50ans Ecotox, le 7 avril 2021   7.1k

L'écotoxicologie est la science qui étudie les effets des polluants sur les êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) et les écosystèmes, mais également ce que deviennent ces polluants dans l’environnement[1]. Cette discipline est née dans les années 1970 à la suite des pollutions survenues après la Seconde Guerre mondiale. Ces événements ont fait prendre conscience de l'impact négatif des substances chimiques et des rejets toxiques sur l'environnement et sur l’Homme.

 

Types de polluants de l’environnement

On appelle pollution tout ce qui impacte négativement les différents compartiments de l’environnement que sont l’eau, l’air et la terre, ainsi que les organismes qui y vivent. Un polluant peut être d’origine naturelle (ex : toxines produites par certains (micro-)organismes) ou humaine (ex : molécules de synthèse) et peut être regroupé selon différentes classes : les pollutions biologiques, chimiques et physiques ainsi que des pollutions émergentes telles que les nanomatériaux et les microplastiques.

Notre mode de vie occasionne inévitablement des pollutions de tous types. Il est donc indispensable d’étudier l’impact des polluants sur l’environnement et d’établir à quel moment leur présence devient dangereuse pour les êtres vivants.

 

Pollution de l’environnement et santé humaine : tout est lié 

Deux évènements de contamination alimentaire découverts dès les années 50 au Japon ont permis de prendre conscience que la pollution de l’environnement pouvait avoir des répercussions sur la santé humaine. En effet, les deux cas de contamination alimentaire qui ont provoqué des maladies étaient dus à des rejets de polluants dans l’environnement : la maladie Itaï-Itaï liée à des rejets de cadmium[2,3] et la maladie de Minamata liée à des rejets de mercure[4,5]. Le cadmium et le mercure, qui sont ce que l’on appelle « des métaux lourds », ont été rejetés en grande quantité dans les eaux de surface suite à des activités humaines. Dans le cas des deux maladies, le polluant a été absorbé par les organismes (plantes, animaux, micro-organismes etc.) ayant été en contact avec ces eaux polluées. Lorsqu’un polluant est absorbé et concentré dans tout ou partie d’un organisme, on parle alors de bioaccumulation. Lorsqu’un polluant a la capacité à se bioaccumuler, il peut alors contaminer toute la chaîne alimentaire jusqu’à atteindre l’Homme et donc causer des maladies, aussi appelées pathologies environnementales.  

Dans le cas de la maladie de Minamata, ce problème de bioaccumulation s’avérera par la suite lié à la transformation du mercure par les microorganismes[6], en un composé chimique encore plus toxique : le méthylmercure. Ceci révélait pour la première fois, la possibilité d’une transformation des polluants dans l’environnement en composés plus toxiques et présentant une capacité de bioaccumulation encore plus importante que les produits d’origine.

A la même époque, une catégorie d’insecticides alors très en vogue (les insecticides organochlorés de type DDT [7]) décimait les populations aquatiques et terrestres dans les sites traités pour l’élimination des insectes ravageurs ou des moustiques. On peut citer l’exemple du « Clear Lake » en Californie, un lac aux eaux claires très touristique mais infesté de petits insectes. Ce lac avait subi trois traitements de désinsectisation par un produit similaire au DDT. Ces traitements avaient abouti en quelques années à l’effondrement des populations de grèbes, des oiseaux magnifiques qui se nourrissaient des poissons du lac et qui étaient devenus incapables de se reproduire. Le nombre de grèbes étaient alors passés de quelques milliers d’oiseaux à une trentaine de couples en moins d’une décennie. Ce désastre écologique a permis de démontrer que certains polluants étaient non seulement capables de se bioaccumuler dans les organismes vivants, mais également que leur concentration pouvait augmenter le long de la chaîne alimentaire (=biomagnification). Par ailleurs, cette catastrophe a révélé les effets toxiques de ces polluants sur la reproduction, l’une des préoccupations majeures des écotoxicologues à l’heure actuelle, notamment exprimée par la problématique des perturbateurs endocriniens.

Ces divers évènements ont donc révélé que le rejet de polluants dans l’environnement pouvait conduire à la bioaccumulation, au transfert et à la biomagnification de ces polluants dans les chaînes alimentaires, à la transformation dans les milieux naturels de certains polluants en des formes plus toxiques, et donc à la possibilité d’avoir des conséquences néfastes pour l’Homme et les écosystèmes. De plus, les problèmes liés au cadmium, au mercure et au DDT ont été étudiés tout au long du 20e siècle [8,9,10] et restent d’actualité. Certaines pollutions du passé ont encore aujourd’hui, des impacts négatifs sur l’environnement et sur l’espèce humaine. Il est donc indispensable de réduire au maximum les rejets de polluants dans la nature. 

 

Émergence de l’écotoxicologie

Pour empêcher que ces catastrophes ne se reproduisent, il apparaissait alors nécessaire d’étudier les effets des polluants sur l’environnement. Ainsi naissait l’écotoxicologie, qualifiée par le Professeur Jean-Michel Jouany en 1971, comme  « l’étude de l’influence des nuisances sur les relations individu-environnement »[11]. C’est en cette même année que le Pr Jouany publie le premier article scientifique présentant les concepts de l’écotoxicologie. En 2021, nous fêtons donc les 50 ans de la discipline !

L’écotoxicologie sera ensuite redéfinie par Jouany et Truhaut comme « la science qui étudie les effets des agents chimiques, physiques et biologiques sur l’ensemble des organismes vivants (microorganismes, végétaux et animaux) dans leurs interrelations au sein des communautés, et l’interaction de ces agents avec l’environnement »[12].

 

L’écotoxicologie à l’heure actuelle

L’écotoxicologie se situe à l’interface entre la toxicologie et l’écologie.  La discipline vise à évaluer les potentiels risques que représentent les différentes pollutions pour l’environnement. Elle permet également d’aider à la gestion des risques en évaluant le potentiel écotoxique des nouvelles substances avant leur introduction sur le marché et en apportant des recommandations aux politiques pour tenter de limiter certaines pollutions. Malgré tout, l’environnement est inévitablement soumis à des pollutions accidentelles, volontaires ou non identifiées en tant que pollutions avant qu’elles ne deviennent problématiques (ex : les microplastiques). L’écotoxicologie permet alors d’évaluer « l’état » de la qualité des milieux afin de protéger la santé des populations qui y vivent.

Maintenant vous savez comment est née l’écotoxicologie et à quoi elle sert… Dans les prochains articles nous vous expliquerons comment déterminer la toxicité d’un polluant, les bases scientifiques des réglementations en vigueur pour protéger l’environnement et bien d’autres sujets passionnants !

 

Références bibliographiques

[1] Site internet https://ecotoxicologie.fr/ (consulté en février 2021)

[2] Kono et al 1956. Cited in WHO (World Health Organisation) 1992. Cadmium. Environmental Health Criteria 134. Series IPCS (International Programme on Chemical Safety), Geneva 

[3] Kono M, Yoshida T, Sugihara H, Hagino N (1956) Report on so-called Itai-itai disease - First report.] J. Jap. Soc.   Orthopaedis., 30: 100-101 (in Japanese).

[4] OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique) 1974. Le mercure et l’environnement. Etudes sur l’utilisation du mercure, ses émissions, ses effets biologiques et son contrôle. Paris, 207 pages.

[5] WHO (World Health Organisation) 1976. Mercury, Environmental Health Criteria N°1 series IPCS (International Programme on Chemical Safety), Geneva.

[6] Jensen EG, Jernelov A (1969). Biological methylation of mercury in aquatic organisms. Nature 223, 753-754.

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dichlorodiph%C3%A9nyltrichloro%C3%A9thane (consulté en février 2021).

[8] Cadmium et ostéoporoses : Wang, H., Zhu, G., Shi, Y., Weng, S., Jin, T., Kong, Q. and Nordberg, G.F.  2003.  Influence of Environmental Cadmium Exposure on Forearm Bone Density. Journal of Bone and Mineral Research 18(3), 553-560. - En open access : https://asbmr.onlinelibrary.wi...

[9] Mercure et alimentation : Hightower, J.M. and Moore, D.  2003.  Mercury levels in high-end consumer of fish. Environ. Health Perspectives 111, 604-608. - En open access : https://ehp.niehs.nih.gov/doi/...

[10] Persistance de la pollution au DDT et Mercure et contaminants émergeants : Mazzoni, M., Ferrario, C., Bettinetti, R., Piscia, R., Cicala, D., Volta, P., Borgå, K., Valsecchi, S. and Polesello, S.  2020.  Trophic Magnification of Legacy (PCB, DDT and Hg) and Emerging Pollutants (PFAS) in the Fish Community of a Small Protected Southern Alpine Lake (Lake Mergozzo, Northern Italy). Water 12(6), 1591 - En open access : https://www.mdpi.com/2073-4441/12/6/1591

[11] Jouany, J.M.  1971.  Nuisances et écologie. Actualités Pharmaceutiques 69, 11-22. - Document PDF joint à cet article et téléchargeable gratuitement (à gauche).

[12] Truhaut, R.  1977.  Ecotoxicology: Objectives, principles and perspectives. Ecotoxicology and Environmental Safety 1(2), 151-173.


Note pour les curieux : Il existe aujourd’hui une convention internationale de Minamata sur le mercure - www.mercuryconvention.org.


Paule Vasseur, Professeur de Toxicologie, émérite (LIEC, Université de Lorraine, CNRS)

Anne Vicente, Docteur en écotoxicologie, Consultante en Médiation des Sciences et de l’Innovation

Davide Vignati, Chargé de Recherche (LIEC, Université de Lorraine, CNRS)