Boîte à outils de l’écotoxicologie – épisode 2

Publié par Laboratoire Liec, le 16 juin 2022   1.3k

Dans l’épisode 1 de notre « boîte à outils de l’écotox », nous avons vu que le risque environnemental d’un contaminant dépend de sa toxicité et de l’exposition des êtres vivants à ce contaminant. Les bioessais permettent d’évaluer la toxicité d’un contaminant et d’établir des grandeurs indicatrices de l’écotoxicité, c’est-à-dire les concentrations d’exposition à ne pas dépasser pour éviter des effets indésirables sur le vivant. Dans ce 2ème épisode, nous allons vous dévoiler comment il est possible d’évaluer l’exposition des organismes vivants à un contaminant.

Mesures ponctuelles dans les compartiments environnementaux

Des échantillons d’eau, de sédiments, de sols ou encore d’air sont prélevés dans l’environnement et transportés au laboratoire afin d’être analysés pour mesurer leur teneur en contaminants. Pour l’analyse des eaux, une première étape de filtration permet de séparer la partie du contaminant dissoute de celle qui est adsorbée (=fixée) aux particules en suspension dans l’eau. Cette distinction est nécessaire car les contaminants dissous sont plus biodisponibles, c’est-à-dire qu’ils sont plus facilement absorbés par les organismes vivants. Les eaux filtrées sont ensuite analysées avec différentes techniques selon le type de contaminant à mesurer. Pour l’analyse des particules en suspension, des sédiments et des sols, il est nécessaire d’extraire les contaminants de ces matrices solides. On utilise pour cela des produits comme des acides pour réussir à les dissoudre et les séparer des particules auxquelles elles sont attachées avant de pouvoir les mesurer.

NOTE : nous n’avons pas abordé les techniques de mesure des contaminants dans l’air car cela sort de notre domaine d’expertise.

Mesures en continu avec des échantillonneurs passifs en milieu aquatique

Les échantillonneurs passifs sont des dispositifs qui peuvent être placés directement en milieu naturel (par exemple dans les eaux d’une rivière) durant un temps donné. Pendant ce temps, ils accumuleront progressivement le ou les contaminants qui nous intéressent. A la fin de la période d’exposition, les échantillonneurs sont récupérés et mis en contact avec différents réactifs. Ceci permet d’obtenir des solutions qui peuvent ensuite être analysées comme s’il s’agissait d’échantillons d’eau.

Il existe plusieurs avantages à l’utilisation de ces échantillonneurs passifs :

1- Ils sont capables de concentrer des contaminants présents à de très faibles concentrations dans les milieux naturels, ce qui permet de les détecter et de les mesurer.

2- Ils permettent d’effectuer des mesures plus justes en réduisant le risque d’erreurs analytiques (risque d'erreurs plus grand pour les contaminants présents en très faibles concentrations).

3- Ils intègrent la variabilité des concentrations des contaminants au cours du temps.

4- Ils peuvent donner des indications sur la partie dissoute qui est capable d’interagir rapidement avec les organismes vivants (la fraction biodisponible d’une substance).

En revanche, l’utilisation d’échantillonneurs passifs nécessite plusieurs déplacements aux endroits où ils ont été placés, ce qui est donc plus cher et demande plus de temps que les prélèvements ponctuels. Ces dispositifs peuvent aussi être perdus suite à des aléas naturels (crues ou sècheresses exceptionnelles) ou à des actes de vandalisme (oui oui vous avez bien lu, des fois on nous détruit ou on nous pique du matériel qui sert à suivre la santé de l’environnement…). Leur utilisation dans le cadre réglementaire reste donc encore limitée.

Ces analyses (mesures ponctuelles et mesures en continu) permettent donc d’évaluer l’exposition des organismes vivants à un contaminant et de comparer les concentrations en contaminants mesurées dans l’environnement avec les grandeurs indicatrices. Si les valeurs mesurées dans l’environnement sont inférieures aux grandeurs indicatrices et aux normes de qualité environnementales… tout va bien ! Dans le cas inverse, on s’intéresse à la dangerosité du contaminant mesuré pour alerter sur la gravité du risque.

Pour aller un peu plus loin :

Mesure des contaminants dans les organismes

La mesure des concentrations d’exposition dans les compartiments environnementaux peut s’avérer insuffisante pour une évaluation correcte du risque. En effet, certains contaminants montrent une forte tendance à s’accumuler dans des concentrations de plus en plus fortes de la base de la chaîne alimentaire jusqu’au sommet (=bioamplification). Les organismes prédateurs situés au sommet de la chaîne alimentaire peuvent ainsi être impactés par certains contaminants en se nourrissant de proies contaminées et cela malgré des concentrations considérées sans risques dans les eaux filtrées. Ce peut être le cas par exemple avec le mercure ou les HAP qui sont des constituants naturels du charbon et du pétrole.

Dans ces cas, il est judicieux d’estimer les risques associés à la présence des contaminants à travers des mesures effectuées directement dans les tissus des organismes. La législation européenne préconise par exemple d’effectuer des mesures sur des moules ou des crustacés dans le cas des HAP. Les analyses dans les organismes se font bien évidemment dans le respect des règlements éthiques en vigueur et en minimisant le nombre d’organismes utilisés.

Référence :Directive 2013/39/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 août 2013 modifiant les directives 2000/60/CE et 2008/105/CE en ce qui concerne les substances prioritaires pour la politique dans le domaine de l’eau Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE

Pour l’écriture :

Davide Vignati, Chargé de Recherche CNRS (LIEC, Université de Lorraine, CNRS)

Pour la relecture :

Paule Vasseur, Professeur de Toxicologie, émérite (LIEC, Université de Lorraine, CNRS)

Anne Vicente, Docteure en écotoxicologie, Consultante en Médiation des Sciences