Origine des bois qui constituent la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris : enquête en cours !

Publié par Laboratoire Liec, le 20 mars 2023   2.7k

Il y a 4 ans, débutait l’incendie de Notre-Dame de Paris. Depuis, des scientifiques ont cherché à percer les mystères de ce joyau riche de plus de 800 ans d’histoire. Plusieurs projets pilotés par Alexa DUFRAISSE du laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique : Sociétés, Pratiques et Environnements (AASPE) rattaché au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) de Paris, visent à percer les secrets enregistrés dans les bois utilisés pour construire la charpente de la Cathédrale la plus célèbre de France.

Le projet « CASIMODO » financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) constitue l’un de ces projets et a pour ambition d’appréhender l’impact des facteurs climatiques et ceux liés à l’activité humaine sur l’évolution des forêts entre le 12e et le 13e siècle en Île-de-France et autour du Bassin parisien grâce à l’étude des bois carbonisés de Notre-Dame. Un des objectifs, dont les recherches sont menées par un groupe de chercheurs, parmi lesquels Anne POSZWA du Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC) de l’Université de Lorraine, est de comprendre l’origine des bois ayant servi à la construction de la Charpente de Notre-Dame. Une partie des travaux est réalisée notamment dans le cadre de la thèse d’Anna Imbert Stulc, co-dirigée par le LIEC, AASPE et le laboratoire METIS (Sorbonne Université Campus Pierre et Marie Curie (UPMC)). Des collègues du laboratoire SILVA, également de l’Université de Lorraine, collaborent à cette question.

Une partie des recherches va s’appuyer sur l’étude des bois carbonisés inventoriés et sélectionnés après l’incendie. En effet, un grand nombre d’informations peut être compilé à partir de l’étude des résidus de bois brûlés de la charpente. Mais pour trouver d’où provenaient ces bois, il faut pouvoir comparer les caractéristiques de ceux-ci à des bois d’arbres qui se développent actuellement dans des zones géographiques et géologiques bien définies : c’est ce qui définira le « référentiel » qui permettra de faire des comparaisons avec les bois anciens. Les archives historiques textuelles sont très peu nombreuses, mais deux hypothèses sont avancées sur l’origine des bois utilisés pour construire la charpente de Notre-Dame de Paris aux 12ème et 13èmesiècles :

Hypothèse 1 : les grumes pouvaient avoir une origine proche de Paris, issues des forêts d’Île-de-France notamment de celles appartenant aux forêts du diocèse et du chapitre cathédral.

Hypothèse 2 : les arbres exploités pour fournir le bois au chantier de Notre-Dame de Paris avaient une origine plus lointaine.

Paris étant traversé par la Seine qui possède de nombreux affluents, le réseau fluvial pouvait permettre le transport des bois par flottage (des registres attestent que c’était un moyen d’approvisionnement en bois existant à Paris au début du XIVe siècle). C’est pourquoi dans cette étude, il a été décidé de bâtir le référentiel sur tout le bassin de la Seine (Figure 1a).

Figure 1 : (a) Le Bassin de la Seine, ses principales rivières et les points de localisations des 12 stations du référentiel (= 12 massifs forestiers) ; (b) Identification des 12 stations sur carte géologique, chacune sur des roches différentes et (c) coupe géologique de la partie Est du bassin de la Seine.

La signature chimique d’un arbre est différente selon le sol sur lequel il pousse. Or, le sol n’est pas le même partout, il variera si les roches qui le composent sont différentes, ce qui est le cas sur le bassin de la Seine (Figure 1b). C’est ainsi qu’ont été sélectionnées les 12 stations : chacune correspond à un contexte où les roches et les sols sont différents et représentent bien la diversité existant sur le bassin de la Seine.

Dans ce projet les chercheurs du LIEC et leurs collaborateurs dans ce projet ANR s’intéressent donc à ces 12 stations dans le Bassin parisien et plus précisément à la signature chimique d’échantillons de bois de chênes (Quercus robur et Quercus petraea, deux espèces ayant pu être utilisées pour construire la charpente de Notre-Dame de Paris) et à l’analyse des sols autour de ces arbres.

Les études d’un collègue participant au projet, Olivier Girardclos (laboratoire Chrono-Environnement à Besançon), mettent en évidence que les bois utilisés à l’époque pour bâtir la charpente étaient des chênes relativement jeunes, de faible diamètre. On sait par ailleurs que les bois étaient assemblés encore verts. Ces choix s’opposent aux techniques employées de nos jours, qui privilégient des bois secs et utilisant des arbres de diamètre plus important. Pour constituer le référentiel dans notre étude, des chênes avec un petit diamètre ont été sélectionnés, pour se rapprocher des conditions de « récolte » au 12 et 13ème siècles.

Pour préciser l’origine des bois, en complément des analyses de dendroprovenance fondées sur les largeurs de cernes, des traceurs d’une signature « chimique » reflétant différents types de roches et de sols ont été sélectionnés et sont mesurés dans les bois archéologiques et dans les bois actuels des 12 stations du référentiel. Les différentes étapes de l‘étude sont résumées dans la Figure 2 ci-dessous :

Figure 2 : Synthèse des étapes de l’étude pour préciser l’origine des bois ayant servi à la construction de la charpente de Notre-Dame aux 12ème et 13ème siècles

1. Les bois actuels sont échantillonnés à partir de carottes prélevées depuis les troncs de chênes de petits diamètres sur des 12 forêts sélectionnées (les 12 stations de la Figure 1). Les sols sont également décrits et prélevés.

2. Les signatures « chimiques » du bois des arbres actuels sont mesurées et les caractéristiques des sols sont déterminées pour pouvoir comprendre ce qui permet de distinguer / discriminer les signatures chimiques des arbres des 12 stations.

3. Les signatures « chimiques » des bois carbonisés de Notre-Dame de Paris sont déterminées après inventaire, datation et choix des échantillons. Une étape préliminaire a permis de vérifier que la carbonisation ne modifiait pas la signature chimique des traceurs sélectionnés.

4. Le but est ensuite de croiser les données collectées et de comparer les signatures chimiques des bois carbonisés de la charpente (Figure 2, étape 3) à celles des bois actuels dont on connait le type de roche et de sol (Figure 2, étape 2) sur lesquels ils ont poussé.

Les provenances éventuelles seront proposées lorsque des signatures mesurées dans des bois actuels se rapprocheront de signatures mesurées dans les bois carbonisés issus de la charpente de Notre-Dame de Paris.

Aujourd’hui encore, les bois du référentiel provenant d’arbres vivants et les sols sont en cours d’analyse dans le bassin de la Seine (étape 2). Les mesures des compositions chimiques des bois archéologiques ont débuté (étape 3). La charpente de Notre-Dame nous dévoile petit à petit ses secrets, et n’a pas encore fini de nous étonner !

Pour l’écriture de cet article :

Anne Poszwa, maîtresse de Conférences (LIEC, Université de Lorraine, CNRS)

Anne Vicente, consultante en Médiation des Sciences et docteure issue du LIEC.

Léa Lagoutiere, stagiaire en communication scientifique au LIEC


Pour en découvrir plus sur l’origine des bois de Notre-Dame, n’hésitez pas à consulter les ressources ci-dessous :

[1] https://anr.fr/Projet-ANR-20-C...

[2] https://lejournal.cnrs.fr/bill...

[3] Ouvrage NOTRE-DAME DE PARIS, LA SCIENCE À L'ŒUVRE

[4] Collectif, Philippe DILLMANN, Pascal Liévaux, Aline MAGNIEN, Martine Regert https://www.lisez.com/livre-cartonne/notre-dame-de-paris-la-science-a-loeuvre/9782749174310

[5] https://www.mnhn.fr/fr/actuali...