Communauté

Histoire - Patrimoine

Chapitre II - Histoire du bâtiment

Publié par Musée Européen de la Bière, le 23 mars 2020   1.8k

Visiter le Musée Européen de la Bière c’est aussi découvrir l’histoire passionnante du bâtiment qui l’accueille. D’un simple magasin aux vivres du XVIème siècle pour les armées du roi de France, il est devenu une malterie, une caserne, une prison et enfin un musée. Son histoire s’étend sur près de cinq cent ans !

Les premières traces écrites mentionnant le bâtiment datent de 1788 mais celui-ci serait en réalité bien plus ancien. Dans son Essai d’histoire de la ville de Stenay, ville capitale du Barrois français et de ses environs par un citoyen, Grégoire Denain, maire de la commune entre 1778 et 1785, précise que sa construction remonte en 1542 à la demande du roi de France François Ier.

Plan de la ville de Stenay en 1754. La citadelle avec ses casernes et ses magasins sont bien visibles à l'Est. (Archives municipales de Stenay)

Possession du duché de Bar, depuis le Xème siècle, puis de Lorraine à partir de 1419, Stenay passe aux mains du royaume de France le 15 novembre 1541 sous la pression de François Ier. Ce dernier profite des fortifications déjà établies par ses prédécesseurs pour les renforcer et faire de Stenay une place forte militaire. C’est ainsi qu’en 1542 il fait construire plusieurs casernes et magasins aux vivres pour la garnison. Actuellement, ce bâtiment se trouve être, avec le palais du gouverneur, le plus ancien de Stenay et l’un des plus anciens bâtiments militaires de France.

A sa construction, le magasin aux vivres est formé de deux bâtiments parallèles longs chacun de 71 mètres et reliés entre eux au premier étage via une passerelle fermée par un pont-levis. Une gravure du XVIème siècle représentant la ville de Stenay présente ces magasins sur deux niveaux, percés d’une grande entrée centrale au rez-de-chaussée.

Gravure de Claude Chatillon vers 1591. Sur cette représentation de Stenay et sa citadelle (à droite) le magasin aux vivres est reconnaissable par sa forme, un bâtiment imposant qui surplombe les autres, percé d'une entrée en son centre, ici placé sous l'église Saint-Dagobert (® Archives municipales de Stenay).

En 1609, Stenay revient aux mains du duc de Lorraine, Henri II qui fait détruire le château comtal pour agrandir et moderniser l’enceinte fortifiée en s’inspirant de la citadelle d’Anvers construite en 1568. Pendant deux siècles, le magasin aux vivres reste en activité pour les troupes stationnées dans la région jusqu’en 1789 lorsque la Révolution française impose l’abandon du bâtiment. N’étant pas réutilisés dans l’immédiat, les locaux se dégradent petit à petit, des deux bâtiments originels ne reste plus qu’un seul magasin.

Il faut attendre 1875 pour qu’un couple de la région, les Prud’homme, rachètent l’édifice à l’Etat. Pourtant, dès 1879, ils le revendent à un jeune homme originaire de Mouzay, Victor Henry qui réaménage le magasin aux vivres en malterie.

Ce choix est particulièrement bien étudié. A cette époque, la ville de Stenay est située dans une région où l’industrie brassicole est en pleine expansion. Dans chaque village naissent des brasseries, Stenay en compte même cinq à cette période ! D’autre part, la proximité avec la Belgique est un avantage certain pour qui veut commercer avec les brasseurs de Wallonie. En fournissant en malt les brasseurs de la région, l’entreprise Henry a toutes les chances de se développer !

Le point le plus important est cependant la nature du bâtiment. Sa forme et son aménagement intérieur sur deux niveaux (sans compter les caves) sont propices au fonctionnement d’une malterie. Les caves sont réutilisées, le rez-de-chaussée devient un germoir au sein duquel sont installés deux monte-charges électriques et le premier étage est aménagé avec quatre bacs à trempe. Pour le stockage de l’orge, le bâtiment est réhaussé d’un étage supplémentaire ainsi que deux larges tourailles de chaque extrémité de l’édifice pour le séchage des céréales. Enfin, les longues façades du bâtiment sont percées de fenêtres permettant l’aération des grains. Ainsi modernisée, la malterie est un établissement de 97 mètres de long dont le corps central fait 12,4m de haut et muni de deux tourailles de 16,5m aux deux extrémités.

La différence entre le bâtiment d'origine du XVIème siècle et les travaux de Victor Henry en 1879 est ici bien visible : Le corps central d'origine est reconnaissable à sa construction en pierre de taille tandis que la touraille (entrée actuelle du musée) et le dernier niveau du corps sont faits de moellons, plus petits. (Musée de la Bière, Département de la Meuse)

Grâce à cet aménagement intérieur, la malterie peut fonctionner en « cascade » : Une fois l’orge récolté à la mi-juillet, les grains sont stockés en sac au deuxième niveau du bâtiment pour une durée de deux mois (période de dormance). Une fois la dormance terminée, ils sont descendus à bras d’homme au premier étage et plongés dans les quatre bacs à trempe pour une durée de 48h. Au terme de ces deux jours de trempe, les grains sont descendus et étalés au rez-de-chaussée pour faciliter leur germination. Puis ils sont pelletés jusqu’aux monte-charge et remontés au deuxième étage pour être versé dans la touraille. Une fois le touraillage terminé, ils sont de nouveau remis en sac et stockés au même niveau en attendant leur livraison vers les brasseries.

                                             Entête de la malterie de Stenay, Département de la Meuse, Musée de la Bière

Malgré ces travaux de réaménagement et une optimisation de l’espace de travail, la malterie Henry est très vite dépassée par les nouvelles technologies. Le bâtiment et son matériel sont mis aux enchères le 5 novembre 1899. Georges Visseaux, déjà propriétaire du moulin de Stenay s’en rend acquéreur au prix de 53 000 francs. Avec une équipe de treize employés il continue à développer les activités de la malterie jusqu’à l’été 1914, date à laquelle il est mobilisé pour la durée de la guerre. Dès septembre 1914, le nord-meusien est occupé par les troupes allemandes, Stenay sert de ville de garnison dans l’arrière front allemand jusqu’en 1918. Au sortir de la guerre, Georges Visseaux, qui a pourtant survécu au conflit, ne reprend pas ses activités. La malterie plonge de nouveau dans une longue période d’abandon entrecoupée d’usages disparates et temporaires tels qu’une fabrique d’agglomérés.

Carte postale allemande présentant l'occupation des casernes de Stenay en 1914. (Coll. Privée)

Vingt ans plus tard, dans le cadre de la surveillance des frontières face au IIIème Reich lors de la « Drôle de Guerre », l’Armée française réoccupe le bâtiment et s’en sert comme caserne jusqu’à l’armistice de juin 1940. C’est alors l’occupant allemand qui, ayant réquisitionné la malterie, va s’en servir comme garde-manger. L’ancien magasin aux vivres retrouve alors sa fonction initiale le temps de l’Occupation. Lorsqu’en 1944 la Libération se termine dans la région du Nord-Est, l’Armée américaine se sert temporairement du bâtiment pour y enfermer des officiers allemands prisonniers. A cette occasion, certains prisonniers vont même redécouvrir un passage souterrain dans les caves de la malterie et s’en servir pour s’échapper ! Une fois la guerre terminée, l’édifice est de nouveau abandonné. Certains villageois de Stenay s’en servent comme champignonnière avant que la famille Bardet s’en rende propriétaire en 1959 pour en faire un dépôt de charbon. Cette activité ne durera pas longtemps puisque le monument est de nouveau abandonné jusqu’à ce que la commune de Stenay le rachète en 1984 pour y installer la collection du futur Musée de la Bière. La suite vous la connaissez !  

Prochaine article : Chapitre III - 

G. Ramon, Département de la Meuse

Sources : P. VOLUER, Stenay, le musée européen de la bière, Edition Citedis, 1997